De nombreux personnages issus des dessins animés emblématiques de notre enfance lui doivent tout.
Les chamailleries attendrissantes de Lumière le candélabre et de Big-Ben l’horloge, les aventures de Timon la mangouste et de Pumbaa le phacochère, ou encore le soutien indéfectible des souris et des oiseaux dans Cendrillon ; toutes ces histoires n’auraient jamais eu un tel impact sans la possibilité pour les créateurs de recourir à un procédé narratif qui relève avant tout de la figure de style : la personnification.
Plan de l’article :
Définition de la personnification
Pour bien comprendre la mécanique de la personnification, il faut l’envisager sous le prisme d’une notion clé : l’anthropomorphisme.
Qu’est-ce qu’une personnification ? (figure de style)
La personnification consiste à attribuer des caractéristiques humaines à des animaux et des objets, mais aussi parfois des sentiments, des idées abstraites et des concepts.
Cela peut passer par :
- les faire parler,
- leur attribuer des pensées et des réactions purement humaines,
- les vêtir de vêtements qui sont le fruit de réalisations humaines,
- leur faire réaliser des tâches ménagères, ou bien des activités demandant une dextérité dont seuls les êtres humains, qui sont pourvus de pouces, peuvent se réclamer,
- ne pas tenir compte de leur milieu naturel d’origine et de leurs besoins biologiques et vitaux pour les remplacer par ceux des humains (par exemple, un poisson qui vivrait dans le monde terrestre sans pour autant manquer d’eau pour respirer…).
Personnification def : exemple
Dans l’intrigue d’Alice aux pays des merveilles, un lapin blanc vêtu d’habits de gentleman brandit une montre à gousset et court tel un dératé en répétant frénétiquement qu’il est en retard. Au travail ? À un rendez-vous ? Nul ne le saura jamais…
Or, le lapin, qui est un animal, n’est ni censé porter des vêtements ni posséder une montre à gousset, et encore moins se réclamer d’être en retard alors que ses seules préoccupations, à l’état sauvage, consistent à brouter de l’herbe humide, fuir les prédateurs et creuser des terriers. Les lapins n’entendent pas la notion du temps telle que nous la connaissons. Bien sûr, cette personnification rend le personnage du « lapin pressé » beaucoup plus intrigant, attachant et « mignon » que s’il avait été un simple être humain refusant d’aider Alice.
La personnification repose sur le principe de l’anthropomorphisme.
Ce mot, qui semble barbare à première vue — mais qui, si seulement il était un tantinet plus court, aurait tout pour devenir une masterclass au Scrabble ! — désigne le fait de prêter des caractéristiques comportementales ou morphologiques typiques de l’être humain à des êtres ou des entités qui n’en sont pas.
À l’origine, on employait ce terme lorsqu’on attribuait des caractéristiques humaines aux dieux antiques (lors des représentations visuelles des dieux à travers les sculptures et les peintures, par exemple).
La définition de l’anthropomorphisme est très proche de celle de la personnification, et pour cause : cette figure de style repose entièrement sur le principe de l’anthropomorphisme.
Personnification def : exemple
Personnification vs Anthropomorphisme
Pour bien différencier les deux :
- l’anthropomorphisme, c’est la façon de raisonner,
- la personnification, c’est le procédé qui consiste à se servir des principes de l’anthropomorphisme pour créer ou incarner quelque chose (un personnage, une métaphore, une allégorie…).
Ainsi, toute personnification a trait à l’anthropomorphisme… même si l’inverse n’est pas vrai. En effet, on peut identifier des pensées ou un raisonnement anthropomorphiques sans pour autant qu’il soit question d’une création ou d’une incarnation.
Comprendre l’anthropomorphisme : exemple courant
Imaginons que, déjà heureux propriétaire d’un chat adulte, vous décidiez d’adopter un adorable petit chaton. Malgré des présentations en bonne et due forme, votre vieux chat s’obstine à rejeter votre nouveau compagnon. Crachats, feulements, coups de patte, refus d’être approché à moins d’un mètre : rien n’y fait… Vous vous dites alors que votre vieux greffier exagère, que le chaton est inoffensif et qu’il pourrait y mettre un peu du sien !
Vous raisonnez, et c’est bien naturel, en être humain… Mais votre chat, aussi domestiqué soit-il, a des origines sauvages et n’est pas, contrairement à l’Homme ou même au chien, un animal social, qui vit en meute. Ce faisant, les chats sont des animaux solitaires et territoriaux, qui ont besoin de temps avant de cerner un congénère et de s’habituer à cette présence étrangère, notamment à son odeur. Ce processus est en réalité tout à fait normal. Votre chat ne fait pas un caprice, la présence de ce mini lui bouleverse son système hormonal et il le vit comme une agression à part entière.
En pensant que votre chat adulte allait y mettre les formes pour cette nouvelle rencontre et faire preuve de bonne volonté et de compassion comme aurait pu le faire un être humain, vous avez été guidé par un raisonnement anthropomorphique.
L’intérêt de la personnification
Utiliser une personnification permet de rendre des personnages, des émotions ou des idées plus vivantes.
En les décrivant comme si ces éléments étaient pourvus de pensées ou de comportements similaires aux nôtres, un créateur, un auteur ou un orateur en appelle à notre empathie.
L’être humain a, en effet, naturellement tendance à éprouver davantage de compassion ou de proximité avec ceux qui lui ressemblent.
C’est pourquoi la personnification est très utilisée dans l’art, que ce soit dans la peinture, le cinéma ou la littérature.
Ainsi, la personnification est indiquée pour :
- générer des émotions,
- favoriser le processus d’identification,
- stimuler l’imagination,
- créer de la surprise,
- donner plus de puissance à des activités humaines banales (manger, boire, dormir…),
- rendre plus concrète une idée abstraite,
- s’adresser à un public difficile à captiver,
- créer des images originales et novatrices.
Exemple de personnification
Ce soir-là, la mort vint frapper à la porte d’Alice.
Explication :
La formule est bien plus évocatrice que si l’auteur avait simplement écrit : Ce soir-là, Alice mourut.
Étymologie du mot personnification
Le terme de personnification (ainsi que le verbe personnifier duquel il découle) vient du mot latin persona, qui désigne à l’origine un « masque de scène » tel qu’on pouvait en porter au théâtre.
Personnification : exemples
Cela devient évident si nous prenons un instant la peine d’y penser : la personnification est partout autour de nous (littérature, cinéma, peinture, contes… et même publicité !).
Personnification : exemples littéraires
La littérature, toutes époques et tous genres littéraires confondus, compte de nombreux exemples de personnification, si bien qu’il serait impossible de les compiler en un seul article. En voici quelques-uns :
- Victor Hugo, grand amateur de poésie lyrique et d’images métaphoriques, nous a légué quelques très belles personnifications :
Personnification exemple : Victor Hugo
- Ainsi pleurait cette douleur profonde. (Victor Hugo, Les Contemplations)
- Cela avait quelque chose de hideux, et mes cheveux se dressent d’y penser. (Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné)
- Sa curiosité s’est éveillée. (Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné)
- La maison crie et chancelle penchée. (Victor Hugo, « Les Djinns »)
- La poésie dans son ensemble fait souvent usage de la personnification :
Personnification figure de style : exemples en poésie
- Ô lac ! rochers muets ! (Alphonse de Lamartine, « Le lac »)
- Un soir j’ai assis la Beauté sur mes genoux. (Arthur Rimbaud, « Jadis »)
- Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux (Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal)
- Certaines œuvres sont des personnifications à elles seules, telles La ferme des animaux de George Orwell (où des animaux de ferme se révoltent contre leurs propriétaires et s’organisent en société autarcique), ou encore les Fables de la Fontaine (lesquelles mettent en scène des animaux, mais aussi des éléments naturels, dans des situations humaines).
Exemple de personnification d’un animal : La Fontaine
Une Grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille Pour égaler l’animal en grosseur, Disant : Regardez bien, ma sœur ; Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? — Nenni. — M’y voici donc ? — Point du tout. — M’y voilà ? — Vous n’en approchez point. La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs, Tout petit Prince a des Ambassadeurs, Tout Marquis veut avoir des Pages.
(Jean de La Fontaine, La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf)
Exemple de personnification dans la nature : La Fontaine
Le Chêne un jour dit au Roseau : — Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau. Le moindre vent, qui d’aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête : Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d’arrêter les rayons du soleil, Brave l’effort de la tempête. Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n’auriez pas tant à souffrir : Je vous défendrais de l’orage ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des Royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. — Votre compassion, lui répondit l’Arbuste, Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci. Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ; Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs. L’Arbre tient bon ; le Roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu’il déracine Celui de qui la tête au Ciel était voisine Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
(Jean de la Fontaine, Le Chêne et le Roseau)
Exemples de personnification courants
Dans la vie de tous les jours, nous sommes également entourés de personnifications de différentes natures.
Personnification : exemple simple
La Vache qui rit, une vache rouge affublée de boucles d’oreilles et d’un sourire humain, est une personnification.
Explication :
Son usage rend le produit (du fromage à étaler) sympathique auprès des consommateurs, et encourage à l’achat. L’utilisation d’une personnification est donc ici une technique publicitaire.
La Vache qui rit est loin d’être le seul produit de consommation courante qui se sert de personnifications pour attirer les foules.
Personnification : exemples dans la publicité
- Le bonhomme vert Cetelem (un tas de gazon),
- Les vaches violettes et les marmottes pour les publicités du chocolat Milka,
- Les mythiques publicités de Noël de Canal Sat, avec des rennes qui chantent, diffusées chaque fin d’année au début des années 2000.
Il existe aussi des personnifications que nous utilisons dans la vie de tous les jours sans nous en rendre compte, au travers de formules récurrentes que nous échangeons avec nos propres.
Personnification : exemples de la vie courante
- Mon ordinateur se fiche de moi : il est trop lent !
- La porte couine.
- La bouilloire siffle.
- La télévision est fatiguée : il vaudrait mieux l’éteindre pendant un moment…
- L’aiguille avec laquelle j’essaie de coudre refuse de coopérer !
- La fatigue m’étreint.
- La colère m’envahit.
- Les étoiles dansent dans le ciel.
- Les vagues lèchent le sable.
La personnification et les autres figures de style
Lorsqu’on étudie la personnification, il est bon de se pencher brièvement sur deux autres figures de style : l’allégorie et la réification.
Personnification vs Allégorie
L’allégorie est une figure de style proche de la personnification. En effet, toutes les deux appartiennent à la famille des figures de style d’analogie.
Néanmoins, l’allégorie n’est pas tout à fait synonyme de personnification…
L’allégorie est une figure de style qui consiste à représenter une idée abstraite (souvent une idée forte, fondatrice de l’Humanité) à travers une image concrète.
Exemple d’allégorie
La Grande Faucheuse (une silhouette squelettique vêtue d’un large manteau à capuche noir et armée d’une faux) est une allégorie de la mort.
En comparaison avec la personnification, l’allégorie donne une interprétation d’une idée abstraite à partir d’une image élaborée, qui n’est pas nécessairement anthropomorphique.
De cette manière, une personnification peut participer à la construction d’une allégorie, mais cette dernière peut également se faire sans elle.
Exemple d’allégorie qui n’est pas une personnification
L’allégorie de la caverne de Platon n’est pas une personnification, car les éléments sur lesquels repose sa nature allégorique ne sont pas relatifs à des caractéristiques humaines (une caverne, des ombres, le Soleil…).
La réification, figure inverse de la personnification
Vous vous demandez s’il existe quelque part une figure de style qui serait l’exacte opposée de la personnification ? Ne cherchez plus : il s’agit de la réification.
La réification est une figure de style qui consiste à prêter à une personne humaine les caractéristiques d’un animal, d’un objet ou d’une chose.
Contraire de la personnification : exemples de réification
- La métamorphose de Gregor Samsa dans la nouvelle éponyme de Kafka est une réification, puisque l’âme humaine du personnage est désormais prisonnière des traits d’un insecte.
- Dans Les Temps modernes, Charlie Chaplin s’appuie sur une réification en montrant à quel point un ouvrier lambda peut se transformer en machine sans âme à force de travailler dans une usine, et ce afin de dénoncer l’aliénation engendrée par le travail à la chaîne.