L’anacoluthe | Définition & exemples
Peut-être vous êtes-vous déjà étonné(e) de voir une phrase s’interrompre inopinément dans sa construction au détour de l’une de vos lectures ?
Dans ce cas, il y a de grandes chances que vous ayez tiqué et pesté contre l’auteur, le correcteur ou la maison d’édition en cause, persuadé(e) que la relecture avait été bâclée. Bien sûr, il pouvait très bien s’agir d’une coquille ou d’une maladresse, mais pas obligatoirement…
Vous vous trouviez peut-être tout bonnement face à une anacoluthe !
Qu’est-ce qu’une anacoluthe ? (figure de style)
Le saviez-vous ? L’anacoluthe est une figure de style qui s’illustre sur le plan de la syntaxe.
Anacoluthe : définition
L’anacoluthe est une figure de style qui consiste en une rupture ou une discontinuité quant à la construction syntaxique d’une phrase.
Elle appartient à la famille des figures de style de construction.
Choisir un mot plutôt qu’un autre, le placer à tel ou tel endroit en fonction de l’effet que l’on veut créer mais aussi des règles de syntaxe de mise dans notre langue, prêter attention aux accords entre les mots, utiliser les bons déterminants… tout cela relève en fait du domaine de la syntaxe.
Pour l’expliquer clairement, une phrase pouvant être considérée comme une anacoluthe commence selon un modèle grammatical et, soudain, sans qu’on s’y attende, bifurque vers un autre. Cela crée une cassure dans la façon dont la phrase se déroule par rapport aux modèles que nous connaissons.
Ce faisant, l’anacoluthe se joue volontairement des règles syntaxiques et grammaticales établies.
Explication :
La phrase ci-dessus commence par une description de la montagne puis, à la fin de sa deuxième proposition, s’oriente soudain vers la mention d’une réaction personnelle propre au locuteur, si bien que l’on change de sujet grammatical alors qu’aucun verbe n’a encore été rattaché au premier (qui est la montagne). Cela crée définitivement une impression de discontinuité, voire de propos décousu, ce qui est caractéristique de l’anacoluthe.
L’anacoluthe, une faute de syntaxe ?
Si elle a tout de la faute de syntaxe à première vue, l’anacoluthe n’en est pas une puisqu’elle découle d’une démarche volontaire de la part de son auteur.
En littérature, on l’utilise afin de générer un effet de surprise chez le lecteur ou une émotion inattendue.
Parfois même, elle naît d’une volonté de l’auteur de créer une tournure abrupte ou, au contraire, d’apporter une touche poétique.
Enfin, il arrive qu’elle traduise un désordre de la pensée.
Explication :
Dans cette phrase, l’anacoluthe est marquée entre nous et Maman, donnant l’impression que l’on passe du coq à l’âne.
Attention donc au registre de langue et au contexte dans lequel vous l’employez !
Anacoluthe : quels synonymes ?
L’anacoluthe est un terme très spécifique qui renvoie à une figure de style à part entière : elle ne dispose, par conséquent, d’aucun synonyme parfait.
Pour éviter une répétition ou expliciter son propos sans perdre en fluidité, on peut à la rigueur la remplacer par des périphrases, telles que :
- discontinuité grammaticale,
- ellipse grammaticale,
- incohérence grammaticale,
- rupture syntaxique…
— Ah oui ?
— Oui, on est très clairement face à une discontinuité grammaticale.
Anacoluthe : exemples
Voici quelques exemples d’anacoluthes, plus ou moins célèbres selon leurs auteurs et leurs époques.
Anacoluthes célèbres
L’anacoluthe la plus connue du monde francophone, tous genres littéraires et toutes époques confondues, nous vient très certainement de Charles Baudelaire.
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
(Charles Baudelaire, « L’Albatros »)
Explication :
Cette anacoluthe s’affranchit de la règle d’accord en genre et en nombre entre le sujet (ses ailes de géant — féminin pluriel) et le verbe en apposition (exilé — masculin singulier), sous-entendant seulement le sujet réel derrière les ailes de géant qui lui appartiennent.
Remarque :
Ces vers sont également marqués par la présence d’une autre figure de style, de substitution celle-là : la synecdoque, qui consiste à parler d’un ensemble uniquement en énonçant l’une de ses parties.
Ici, les ailes de géant viennent se substituer à l’albatros qu’elles désignent.
D’autres auteurs se sont également illustrés avec des anacoluthes d’anthologie.
- Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde en eût été changée.
(Blaise Pascal, Pensées) - Ma foi, sur l’avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
(Jean Racine, Les Plaideurs) - Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
(Paul Éluard, « Comprenne qui pourra »)
Anacoluthe : exemples littéraires
Hormis l’anacoluthe de Baudelaire et les autres exemples ci-dessus, la littérature française a souvent fait la part belle à l’anacoluthe en tant que technique stylistique.
Oui comme un grain de blé et les bottes de sept lieues
(Paul Éluard)
Souvent, c’est la poésie qui se révèle être un terrain de jeu fertile pour les anacoluthes.
Vertige le décor devient le visage de la vie
La face de cette fille que j’ai tant aimée
Pour ses mains ses yeux faits et sa stupidité
(Louis Aragon, « Sommeil de plomb »)
Cependant, oublier de regarder du côté du théâtre serait une erreur !
Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.
(Molière, Les Femmes savantes)
Pourquoi utiliser une anacoluthe ?
La raison d’être d’une anacoluthe est quasiment la même à chaque fois : c’est une question de style.
En effet, elle permet, grâce à la rupture syntaxique inattendue sur laquelle elle repose, de susciter différentes réactions chez le lecteur :
- la surprise,
- la curiosité,
- l’admiration,
- l’étonnement…
Elle a aussi pour atout non négligeable de permettre la mise en avant d’effets tels que la spontanéité ou le contraste.
L’auteur doit bien sûr veiller à se demander quelle réaction il cherche à générer et si l’anacoluthe est la meilleure façon de le faire, mais quand cette figure de style est utilisée à bon escient, elle fait généralement mouche !
Des anacoluthes moins travaillées sont aussi présentes à l’oral, contexte dans lequel on les utilise pour amplifier le ton oralisé, un peu informel, sur lequel on s’exprime.
Sa visée est alors moins esthétique que pratique.
À noter que l’on peut jouer, notamment en poésie, pour créer des anacoluthes à visée comique.