Définition du « tautogramme » :
Figure de style consistant à commencer tous les mots d’une même phrase par la même lettre.
- Dans la zone zoologique, bon zigue, zigzaguait l’ouvrier zingueur, zieutant les zèbres mais zigouillant plutôt les zibelines.
(Jean Lescure, « Z'ai nom Zénon »
Plan de l’article :
Qu’est-ce qu’un « tautogramme » ?
Originaire du grec « ταυτό » ou « tautó » (signifiant « le même ») et « γράμμα », « grámma » (« lettre écrite »), cette figure de style relativement méconnue consiste à former une phrase commençant par la même lettre.
La pipe au papa du Pape Pie pue.
(Jacques Prévert)
Remarque :
On parle de tautogramme parfait lorsque tous les mots de la phrase commencent par la même lettre.
De même, ils sont considérés comme presque parfaits lorsque la lettre se retrouve dans presque chaque mot de la phrase.
À l’origine, le tautogramme a tout d’abord été utilisé en poésie, où on le nomme « vers lettrisé », avant de s’étendre à la prose où on l’employa avec un succès grandissant. On recense d’ailleurs de nombreux poètes latins employant des tautogrammes dans les vers de leurs poèmes.
En outre, le tautogramme est la figure de style idéale pour construire des virelangues, c’est-à-dire une « locution à caractère ludique où les phrases, en raison de leur construction et de leurs sonorités complexes, sont particulièrement difficiles à prononcer ou à comprendre ». Les syllabes de sonorité presque identique rendent l’exercice plus délicat encore.
Exemples de virelangues :
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
(Jean Racine, « Andromaque »)
Dînant d’amibes amidonnées
Mais même amidonnée l’amibe
Même l’amibe malhabile
Emmiellée dans la bile humide
L’amibe, ami, mine le bide…
(Bobby Lapointe, « Méli Mélodie »)
Didon dîna dit-on de dix dos dodus de dix dodus dindons.
Tata, ton thé t’a-t-il ôté ta toux ?
Le saviez-vous ?
Le tautogramme est parfois nommé « pantogramme » ou « paronoméon ».
Quelles différences y a-t-il entre un « tautogramme » et une « allitération » ?
1. Différence entre le « tautogramme » et l’« allitération »
Le tautogramme est une variante de l’allitération. En effet, cette dernière consiste également à jouer sur la sonorité des mots en employant des consonnes identiques au sein d’une phrase.
Cependant, à l’inverse du tautogramme, cette répétition consonantique ne prend pas effet sur chaque lettre des mots et joue plutôt sur la répétition d’une même sonorité, peu importe où se trouve cette lettre (au début, au milieu ou à la fin d’un mot).
2. Exemples d’allitération
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
(Jean de La Fontaine, « Le Loup et l’Agneau »)
Dans cet exemple, la répétition de la lettre « t » apporte un rythme haché au texte, permettant de retranscrire la menace du loup sur l’agneau.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
(Guillaume Apollinaire, « Le Pont Mirabeau »)
Dans cet autre exemple, la lettre « l » apporte douceur et fluidité au texte, permettant de reproduire le son de l’eau coulant de manière limpide dans la Seine.
Ta Katy t’a quitté (tic-tac tic-tac) (…)
T’as qu’à t’as qu’à t’cuiter
Et quitter ton quartier (…)
Ta tactique était toc
(Bobby Lapointe, « Ta Katy t’a quitté »)
Enfin, dans cette chanson, l’auteur utilise les lettres « c » et « t » pour rappeler le son du tic-tac d’une horloge, les sons hachés évoquant un sentiment d’urgence et le rythme effréné des aiguilles.
Le saviez-vous ?
Si l’allitération consiste à répéter une même consonne dans la phrase, l’assonance consiste, quant à elle, à répéter une même voyelle.
- Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire.
(Jean Racine, « Phèdre »)
Exemples de tautogrammes
1. Tautogramme avec la lettre « C »
Ça commença comme ça : certaines calomnies circulaient concernant cinq conseillers civils coloniaux : contrats commerciaux complaisamment conclus, collaborateurs congédiés, comptabilités complexes camouflant certaines corruptions crapuleuses, chantages comminatoires, concussions classiques…
Croyant combattre ces charges confuses, cinquante commissaires-chefs comiquement conformes (cheveux châtain clair coupés courts, costume croisé, chemise couleur chair, cravate café crème, chaussures cloutées convenablement cirées) contactèrent certains colonels congolais causant couramment cubain.
« Cherchez chez Célestin, Cinq, Cours Clémenceau », chuchota ce centenaire cacochyme constamment convalescent, « car ce célèbre café-concert contrôle clandestinement ces combines criminelles. »
Cinq commissaires chevronnés coururent courageusement Cours Clémenceau. Cependant, coïncidence curieuse,
Cinq catcheurs corpulents, cachés chez Célestin, complotaient contre cette civilisation capitaliste complètement corrompue.
Ces citoyens comptaient canarder certain chef couronné considéré comme coupable.
Commissaires certifiés contre champions casse-cou : choc colossal !
Ça castagna copieusement.
Conclusion : cinquante clients contusionnés, cinq cardiaques commotionnés, cinq cadavres !
Ce chassé-croisé cauchemardesque chagrina chacun.
(Georges Pérec, « Chapitre cent-cinquante-cinq »)
2. Tautogramme avec la lettre « F »
Et la grande dolichocéphale sur son sofa s’affale et fait la folle.
(Jacques Prévert, « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France »)
3. Tautogramme avec les lettres « M » et « N »
Ma mer, m’amis, me murmure :
« nos nils noient nos nuits nées neiges »
(Robert Desnos, « Élégant Cantique de Salomé Salomon »)
4. Tautogramme avec la lettre « P »
Pétulante et primesautière, la puce est un petit pulicidé qui pique et pond partout, avec une prédilection pour les pelages et les pyjamas.
Peaux, poils ou plumes, elle y plonge avec passion et prend son pied pareillement, à poinçonner le porc-épic et le politique, le perroquet, le paltoquet, le pékin et le pékinois. Mais son pili-pili, c’est le pur puceau dont elle se plaît à pomper la pulpe ponceau.
Plus pernicieuse que les perfides pipistrelles de Pitești, la puce pioche, perce et puise à s’en péter la panse, puisque c’est en permanence qu’elle ponctionne sa pourpre pitance. Pif, paf, plic, ploc, elle se pinte aux plaquettes plutôt qu’au picpoul.
Papules, pustules et purpuras piquettent son passage, paraphé en prime d’un pénible et persistant prurit.
Pire que le pou, la punaise et le puceron, protégée par son puissant piston, la puce prend de plus en plus de place dans la population. Pourchassée par pléthore de poudres, poisons, pesticides, elle est parvenue à se projeter dans les périphériques, grâce à ses pattes postérieures à propulsion, et perdure parmi une profusion de programmes où elle prolifère et pullule comme les Philippins aux Philippines. Preuve d’une personnalité paranoïaque et de pulsions perverses, elle est portée à papouiller et à perforer perforateurs et perforatrices.
Ah, que ne peut-on lui planter un pieu en pleine poire, pour la punir par où elle a péché.
(Danielle Grondein, « La puce »)
5. Tautogramme avec les lettres « S » et « T »
Triste, transi, tout terni, tout tremblant
Sombre, songeant, sans sûre souvenance…
(Clément Marot, « Crainte »)
6. Tautogramme avec la lettre « V »
Veni, Vidi, Vici
(Jules César)
Voilà ! Vois en moi l’image d’un humble vétéran de vaudeville, distribué vicieusement dans les rôles de victime et de vilain par les vicissitudes de la vie. Ce visage, plus qu’un vil vernis de vanité, est un vestige de la vox populi aujourd’hui vacante, évanouie. Cependant, cette vaillante visite d’une vexation passée se retrouve vivifiée et a fait vœu de vaincre cette vénale et virulente vermine vantant le vice et versant dans la vicieusement violente et vorace violation de la volition. Un seul verdict : la vengeance. Une vendetta telle une offrande votive, mais pas en vain, car sa valeur et sa véracité viendront un jour faire valoir le vigilant et le vertueux. En vérité, ce velouté de verbiage vire vraiment au verbeux, alors laisse-moi simplement ajouter que c’est un véritable honneur que de te rencontrer. Appelle-moi V.
(Réplique du personnage « V » dans le film « V pour Vendetta »)
7. Tautogramme en « Z »
Au Zénith, un zeste de zéphyr faisait zézayer le zodiaque. Dans la zone zoologique, bon zigue, zigzaguait l’ouvrier zingueur, zieutant les zèbres mais zigouillant plutôt les zibelines.
Zut, suis-je déjà à Zwinjndrecht, à Znaïm ou à Zwevegem, à Zwicken ou sur le Zuyderzee, à Zermatt ou à Zurich ?
Zélateur de Zoroastre, j’ai le poil sombre des chevaux zains.
Mais, ayant joué au zanzibar, un zazou m’a zesté les parties zénithales selon une méthode zététique. Aussi, c’est entre le zist et le zest que j’ose zozoter : zéro.
Mais zéro zoniforme, zéro zoosporé, zéro zoophagique.
Et pas de zizanie entre les zouaves à propos de zizis – hein ? Zéro.
(Jean Lescure, « Z’ai nom Zénon »)
Pourquoi utiliser une figure de rhétorique comme le tautogramme ?
Le tautogramme peut être utilisé dans un texte pour de nombreuses raisons.
1. Jouer sur les mots
De nombreuses figures de style permettent, en raison de leur jeu sur les mots ou sur les lettres, de créer des associations ludiques.
Le mouvement littéraire de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) a notamment mis en avant l’aspect humoristique et profondément ludique de ces figures, notamment par le biais du tautogramme, un jeu de mot littéraire qu’il popularise dès le XXᵉ siècle.
2. Susciter l’ironie
Quoi de mieux que des répétitions volontaires pour créer un effet comique dans la phrase ?
Les auteurs et autres artistes comiques l’ont bien compris et ont recours au tautogramme pour tourner les faits en dérision et susciter l’ironie. Objectif : faire rire, souligner le ridicule d’une situation et provoquer l’hilarité générale.
3. Créer une dynamique
Par l’effet de rythme qu’il provoque dans la phrase, le tautogramme est idéal pour apporter une plus grande dynamique au sein du texte.
En fonction de son emploi et de la lettre utilisée pour créer une redondance, le tautogramme peut aussi procurer une certaine harmonie au texte. Ce n’est plus uniquement le fond qui a de l’importance, mais également la forme, par le comique de répétition ou par les sons.
De fait, le tautogramme est une figure de style que l’on peut volontiers déclamer pour insister sur les sonorités, et ainsi exploiter toutes les ressources potentielles des lettres, de leurs sons et de leur articulation.
Un exercice de prononciation idéal !
Il m’eût plus plu qu’il plût plutôt.
N’oubliez pas :
Le tautogramme fait partie des nombreuses figures de style auxquelles on peut avoir recours pour apporter du dynamisme à ses écrits.
Pensez aussi au polyptote ou au zeugme qui peuvent également apporter une visée satirique dans les textes.