Aposiopèse : définition et exemples
L’aposiopèse est un procédé de style créant une rupture de l’énoncé syntaxique à l’aide d’une phrase inachevée. Le lecteur doit lui-même imaginer la suite.
(Virgile, L’Énéide)
Aposiopèse : définition
L’aposiopèse est une figure de style consistant à interrompre subtilement une phrase ou un énoncé.
Cette rupture brutale laisse au lecteur le soin de deviner lui-même la suite de la phrase, parfois évidente.
Le terme aposiopèse est issu du grec « aposiôpêsis » (« cesser de parler »).
(Éric-Emmanuel Schmitt, La Rivale)
Cette interruption de la suite attendue de la phrase se traduit le plus souvent par l’emploi de points de suspension ou, parfois, par l’absence de ponctuation.
L’aposiopèse est volontiers utilisée en littérature, et plus particulièrement dans les récits dramatiques et lyriques au théâtre : on la retrouve souvent au sein du monologue des personnages.
Fonctions et avantages d’une phrase inachevée
L’aposiopèse peut être idéale pour :
Susciter une émotion
L’aposiopèse est la figure de rhétorique idéale pour laisser transparaître les émotions du personnage : crainte, émoi, hésitation, menace, ruse, etc.
Traduire une vive tension dramatique
L’emploi d’une phrase inachevée permet d’accentuer la tension dramatique et de la mettre stylistiquement en exergue dans le texte.
Exploiter l’imaginaire
Le lecteur a tout le loisir de déchiffrer la phrase interrompue et de l’interpréter à l’envi.
Apporter une rythmique
L’abrupte interruption de la phrase, causée par l’aposiopèse, apporte une nouvelle dynamique dans la lecture et rythme les échanges qui se font plus saccadés.
Exemples d’aposiopèses
On retrouve de nombreux exemples d’aposiopèse dans la littérature, comme en témoignent ces quelques exemples.
- — Votre père vous aime, pourtant !
— Oui ; mais…
Elle poussa un soupir, qui signifiait : « Cela ne suffit pas à mon bonheur »
[…] Catherine m’a prévenu que tu avais quelque chose …
— Oui, c’est vrai ! Je voulais vous dire…
Ce vous l’étonna ; et comme elle se taisait encore :
— Eh bien quoi ?
— Je ne sais plus, j’ai oublié ! Est-ce vrai que vous partez ?
(Flaubert, L’Éducation sentimentale) - « Moi, qui mourrais le jour qu’on voudrait m’interdire
De vous… »
(Racine, Bérénice) - « Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime… »
(Racine, Phèdre) - « Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
Te… mais du prix qu’on m’offre il me faut contenter. »
(Racine, Athalie) - Lisette : — Ah ! Tirez-moi d’inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?
Arlequin : — Je suis… N’avez-vous jamais vu de fausse monnaie ?
(Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard) - AGNÈS : — Eh ! il m’a…ARNOLPHE : — Quoi ?AGNÈS : — Pris…ARNOLPHE : — Euh ?AGNÈS : — Le…ARNOLPHE : — Plaît-il ?AGNÈS : — Je n’ose,
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
(Molière, L’École des femmes)
Réticence, anacoluthe ou ellipse : différences
Certaines figures de style se rapprochent de l’aposiopèse, mais restent fondamentalement différentes. C’est le cas de l’anacoluthe, de l’ellipse et de la réticence.
1. Anacoluthe
Une anacoluthe, ou anacoluthon, se caractérise également par une rupture ou un bouleversement dans la syntaxe de l’énoncé. L’anacoluthe peut, comme l’aposiopèse, être suivie d’une digression.
Cette figure de rhétorique, lorsqu’elle n’est pas employée comme telle, constitue une faute grammaticale en raison de son défaut de construction et doit être évitée à l’écrit.
(Blaise Pascal, Pensées)
2. Ellipse
L’ellipse consiste à omettre certains éléments syntaxiques ou stylistiques sans nuire au sens ou à la cohérence de la phrase. L’effet de concision de l’ellipse apporte du rythme au texte, permet d’éviter les répétitions ou encore d’alléger la phrase.
(Albert Camus, L’Étranger)
3. Réticence
Issue du latin « reticere » (« se taire »), la réticence est une figure de style très similaire à l’aposiopèse.
Elle consiste à interrompre brusquement la fin d’une phrase en laissant un silence lourd de signification. Ce procédé de rhétorique permet d’insinuer les choses et de faire des allusions de manière subtile.
Contrairement à l’aposiopèse, la réticence n’est pas suivie d’une digression.
(Henri Estienne, Épigramme)
Les réticences sont très fréquentes dans le langage courant, où l’on laisse ses phrases en suspens, par paresse verbale.
= sous-entendu « et alors, ce serait difficile pour moi de vivre »